chit chat -Kaël & Adhara

Gamin, Lyto détestait les jeux de stratégie. Il savait que chacun de ses mouvements serait analysé mais surtout jugé par l'autre personne en face, et que rien n'y changerait. Cette autre personne, c'était son père. Lyto passait peu de temps en sa présence : une guerre séparait le père de l'enfant puis, après, une reconstruction. Mais parfois, le temps de quelques jours ou de quelques heures, l'homme prenait son fils pour un jeu.
Ce n'était pas un jeu, comprit vite Lyto. Plutôt un test...
Décevoir, réussir, apprendre, perdre...
”Dans l'espace, tu serais mort” avait dit l'homme un jour en apposant le dernier coup aux pions de son fils.
Le ton neutre, la voix sans émotion rendit Lyto malade. Le gamin ravala sa bile et, ce ne fut qu'une fois son père partit qu'il parvint à vomir la défaite et l'humiliation en même temps que le dernier repas mangé.
Suite à cela, Lyto ne mangea pas chaque fois que son père lui rendait visite. Pas avant le jeu...
Il n'avait jamais réussit à le battre ou à être bon. Une fois soldat, Lyto découvrit pourtant que la vraie stratégie était différente et possédait bien plus de nuance que ce que quelques pions avaient laissé croire.
Que ce que son père avait laissé croire.
Une leçon? Peut-être.
Ne jamais se fier aux apparences...
ne jamais se fier à rien, en vérité. Ni personne.

Il repensait encore à cela parfois, au souvenir du face à face et du jugement paternel. Il repensait à cela, à d'autres choses aussi. Comme tout un chacun, Lyto possédait un passé vaste, certains souvenirs lui apportaient quelque chose et d'autres au contraire ne représentaient que du vide. Aujourd'hui, l'homme s'apprêtait à jouer un autre de ses coups. Ce ne serait pas beau, ce ne serait pas gracieux mais en matière de trahisons et d'ordres, Lyto se souciait peu du décorum.

L'idée lui vint en reconnaissant la chanteuse. C'était elle qu'il faisait venir dans ses quartiers à présent que le concert était terminé. Elle, et puis Ry'leh aussi. Pourquoi? Parce que l'autre homme devait prouver qu'il pouvait encore être utile au Syndicat. A Lyto surtout en vérité, chose que Kaël comprenait certainement suite à leur dernière rencontre. Des menaces et des sourires, le poids d'un bras en moins malgré la prothèse...

On annonça les nouveaux venus et on les fit entrer. ”Adhara, je ne suis pas le seul à avoir tourné le dos à la carrière militaire je vois” s'amusa Lyto, le regard perçant et le sourire aussi vif qu'une vibrolame frappant dans la nuit. ”Assied-toi, c'était un joli concert. Très plaisant. Toi aussi Kaël, entre. Sers-nous à boire veux-tu?  Bien. À présent que vous êtes ici sachez que je vais vous payer tous les deux pour tuer quelqu'un. Et chanter. J'ai peut-être inversé l'ordre, mais l'idée est là.”

Debout, l'homme que l'on murmurait à présent boiteux semblait ne souffrir d'aucune faiblesse en vérité. Ses yeux sombres allaient d'Adhara à Kaël avec une indolence presque facétieuse, sachant que des réactions violentes risquaient de survenir.

Il y avait longtemps qu’Adhara n’avait pas fait de concert en si petit comité. Un sourire satisfait sur le visage, elle fit un dernier salut, envoya un énième baiser à la foule et se retira dans les coulisses du casino. Derrière les lourds rideaux rouges, la chanteuse poussa un soupir de soulagement. Déjà, quelques personnes faisaient la file pour lui offrir des roses. Vu la mine désintéressée de quelques-uns, elle n’avait pas de mal à imaginer qu’ils étaient d’une façon ou d’une autre à la botte des véritables expéditeurs. Elle leur offrit un sourire avant de marcher dans leur direction. Plus vite elle accepterait les cadeaux, plus vite elle pourrait retourner à sa loge et profiter d’un long bain sans perruque et sans maquillage pailleté dont elle s’était recouvert les yeux en une ligne qui lui barrait le visage.

Lorsque l’entièreté des bouquets furent posés sur une des tables de l’arrière-scène, il ne restait plus qu’un homme, aux allures d’armoire, tenant une simple rose blanche. La démarche nonchalante, bien que la carrure de l’homme la mettait un brin mal à l’aise, elle s’avança. Le géant lui tendit la fleur avec autant d’attention que s’il devait recoller un morceau de porcelaine et Adhara leva les yeux vers l’étrange personnage.

« Le patron veut vous voir. »

La voix était grave et l’intonation laissait peu de place à l’interprétation. Il s’agissait d’un ordre.

« Je ne rends pas de visites personnelles, » affirma-t-elle tout de même en portant la rose à son visage. Si elle ignorait ses limites au premier inconfort, elle n’aurait jamais survécu à sa première année de succès.

Le visage de l’homme resta inchangé et il réduit la distance entre eux en un long pas, si bien que le menton d’Adhara lui touchait presque le torse lorsqu’elle leva la tête.

« Vous n’avez pas le choix, » dit-il. Puis, si bas que la chanteuse était persuadée de l’avoir imaginé, il ajouta, « s’il vous plaît. »

Elle le suivit donc dans les dédales de Canto Bight. Si son instinct lui cria de retenir leur trajet pour pouvoir s’enfuir plus tard, elle eut bien du mal à retenir tous les détours qu’ils avaient pris, si bien que quand ils ralentirent enfin, elle était tout à fait perdue. Mais même si elle avait retenu le chemin, l’homme qui se tenait de l’autre côté du couloir lui aurait fait tout oublier.

« Toi. Ici… comment? »

Elle murmura à peine les mots, la bouche entrouverte et le cœur battant la chamade. Si le nom lui échappait, elle était certaine de reconnaître ce regard qui avait hanté plusieurs de ses nuits dans les dernières années. Avant qu’elle ne puisse demander plus d’informations, on les fit entrer dans une suite luxueuse. Cette fois-ci, l’homme qui les accueillit remua d’autres sentiments en Adhara.

Lyto Adama. Le séduisant soldat. Le traître.

Immédiatement, son visage se durcit. Mais elle garda le silence, dans l’espoir qu’il ne l’ai pas reconnue. Après tout, il ne l’avait jamais vraiment remarqué quand elle essayait de s’attirer ses faveurs. Peut-être ne savait-il pas qui elle était. La première phrase qui sortit de sa jolie bouche lui fit perdre tout espoir d’incognito.

Il dégageait toujours autant d’autorité, mais Adhara n’obéit pas. Figé debout, son regard allait d’un homme à l’autre, et son estomac lui indiquait que quelque chose n’allait pas bien se passer. La demande de Lyto tomba avec autant de subtilité qu’un piano tombant d’un croiseur. Adhara fronça les sourcils. Puis se mit à rire.

« Ce n’est pas sérieux! »

Pourtant, quelque chose lui disait que si, et son hilarité nerveuse se transforma en une colère sourde lorsqu’elle comprit tout à fait qu’il n’y avait aucune plaisanterie dans la demande du traître.

« Est-ce tu crois vraiment que je vais gentiment acquiescer et aller tuer quelqu’un? »

Elle avait insisté sur le ‘tuer’. Il y avait bien longtemps qu’elle n'avait pas touché à une arme et elle n’avait jamais ôté la vie à qui que ce soit, arrêtant sa carrière avant même qu’elle n’ait vraiment commencé. Et puis il était un traître, et sa présence dans l’un des lieux les plus réputés pour son activité illégale indiquait qu’il n’avait pas réfléchi à ses actions ces 12 dernières années. Elle lança un bref regard vers Kaël, à la recherche d’un quelconque soutien, mais reporta rapidement son attention vers l’homme à la silhouette plus fine.

« Si quitter l’armée a fait de toi un meurtrier, ce n’est pas mon cas. »

Elle croisa les bras, consciente de ne pas avoir grand-chose d’autre que son aplomb pour se défendre. Elle chercha encore du regard Kaël, les milles questions qui se bousculaient dans sa tête momentanément effacée par un mélange d’incompréhension et d’une certaine peur. Elle regrettait amèrement de ne pas avoir de blaster, en ce moment.